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L'atelier de Llaeryn
onte
du Zephyr Bleuté
n
des temps reculés que même les anciens ne se souviennent,
régnaient sur le monde les Dieux du Panthéon. Terribles
et magnanimes, ils dirigeaient les terres d’une main gantée.
En ce monde harmonieux vivaient des êtres supérieurs qui
gouvernaient sur les royaumes après le départ des Dragons
et avant l’arrivée des humains. D’une taille élancée
et fine mais solide à en surprendre, les Elfes avec leur visage
délicat inspiraient le calme et la sérénité
à tous ceux qui les regardaient. Entre autre sous races étaient
les Elfes dorés , dits Hauts Elfes, les Elfes de la Lune, ou Elfes
Argentés, ou encore les Elfes Noirs, ou Elfes de la Nuit. Les premiers
régissaient les hautes tours d’argent des villes où
la magnificence se partageait le luxe avec le fin tracé des lignes
vertigineuses des routes. Les seconds préféraient les villages
dans les plaines les plus luxuriantes, quiétude et sagesse au détour
de la nature. Les derniers vivaient au cœur du noir chemin, adeptes
des Ombres et des ténèbres. Ils étaient aussi des
Elfes sylvains, dont les bâtiments aux sommets des cimes laissaient
perplexe le voyageur inaverti. Ces sous races coexistaient sans guerre
ni prétention sur le fief du suivant.
armi
eux se trouvait une jeune elfe de la Lune. Son visage d’un blanc
laiteux teinté de bleu, encadré de cheveux noirs de jais,
était l’écrin de magnifiques yeux bleus pailletés
d’or. L’ensemble donnait une impression de sérénité,
taille élancée et finesse des membres, parfaite formation
d’un corps jeune et svelte. Elle était la joie personnifiée,
vive comme le torrent au creux d’un vallon, gaie comme l’oiseau
au printemps. Jeunesse en mal d’aventure toujours était à
l’affût du moindre danger, de la moindre énigme. Ses
juvéniles années l’avaient déjà menées
sur les traces du mystère de la vie. Cependant, mal lui en prenait,
car elle était considérée comme trop jeune pour partir
avec ses camarades en expéditions. Elradrielia souvent regrettait
de n’être pas plus vieille pour partir avec ses amis, l’arc
en bandoulière, le cœur battant à tout rompre par monts
et vallées.
n matin où
la Nuit avait déposé sa semence faisant miroiter les étoiles
sur la vallée, petites gouttes de rosée légèrement
posées sur les feuilles des arbres en fleur, les maisonnées
étaient endormies encore après la fête de la veille
qui tard le soir s’était étalée. Mais quelle
était cette ombre furtive, ce petit bout de silhouette qui se découpait
dans les ténèbres opaques du jour pointant son nez? La petite
Elradrielia s’en allait, ses cuissardes encore à la main,
sa tunique à peine enfilée dans son empressement de quitter
ces lieux de calme et de loisir. Sa longue mise en avant se baguenaudait
entre les arbres. Elle partait enfin à l’aventure, menant
avec elle son fidèle Nedë au pelage blanc comme la neige.
L’ivoire de sa robe tranchait sur la verdure environnante, mais
son pas agile se posait, soyeux bruissement, sur les graviers. Le chemin
tordu masquant enfin le village, elle se permit de souffler au couvert
des buissons, le temps d’enfiler sa tenue ocre, les jambières
de cuir bouilli lui assurant pour sûr une protection des plus singulières
dans son esprit enfantin. Puis, enfin, elle reprit la route, sifflant
un air enjoué, heureuse d’aller au devant de son destin,
seule à décider de son avenir.
a
route se dessinait, sinueuse, entre les majestueux gardiens de la forêt.
Le Temps des vénérables Ents était passé,
laissant les elfes seuls, face à la sagesse des Dieux. La Nature
semblait en attente, chaque recoin mimait le regard des Esprits, chaque
souffle de vent murmurait la voie à suivre. Le jour s’écoula
comme sablier essentiel, égrenant les heures au cours desquelles
la jeune fille pu tour à tour admirer la profondeur d’une
vallée, l’étincelant d’un ruisseau qui courait
loin derrière les cimes. A plusieurs lieues de là, au détour
d’une route cendreuse, la jeune elfe croisa un jeune homme bien
étrange. Sa peau était cuivrée aux doux reflets verts
et ses yeux noisette s’agrandissaient à mesure qu’elle
avançait vers lui d’un pas tranquille. Il fit un geste de
recul pour tenter de s’échapper mais elle était plus
rapide sur le dos de son cheval. Se repoussant dans les feuillages du
buisson bordant l’allée, il s’enfonça au plus
profond pour la laisser passer. Il secoua la tête d’un air
navré dérangeant l’harmonie de sa chevelure brune
semblant regretter d’avoir pu être ainsi épié
puis rattrapé. Tebril était leste, agile et adroit à
l’arc, sa jeunesse lui faisant office de laisser passer au cœur
de la forêt. Chasseur et simple sylvain, sa dextérité
respirait la vie au grand air. Il se laissa approcher avec méfiance
puis voyant le visage angélique de l’enfant se fit plus doux.
rrivée à
sa hauteur, la jeune elfe se pencha sur sa monture, son visage proche
du sien. Un murmure vint tinter à ses oreilles, la langue claqua,
le cheval s’immobilisa totalement. Gracieusement, Elradrielia se
jeta d’un ample mouvement au bas de sa monture. Les herbes montantes
lui léchaient les jambes, et d’un coup d’œil circulaire,
Tebril s’avança après s’être assuré
du calme des sous bois. L’heure suivante fut consacré à
la connaissance de l’autre,expérience et rêve, amour
de la nature, amour de l’aventure. Et la journée passée
vit les deux jeunes gens amis.
Il lui proposa de s’arrêter un instant pour se restaurer et
c’est ensemble qu’ils prirent leur repas bavardant gaiement.
Le soir arrivant, l’enfant se mit à frissonner, elle n’avait
point entrepris de partir si longtemps mais les jeux que lui proposait
Tebril l’avaient convaincue de rester un peu plus longtemps. Mal
à l’aise, un peu effrayée par la nuit qui s’annonçait,
la petite regardait son compagnon d’un air triste. Le comprenant
parfaitement Tebril se proposa pour veiller à son sommeil sans
tarder.
ans
la Nuit un murmure se fit entendre doucement, les roulements de cette
voix enchanteresse entourant peu à peu le jeune elfe se firent
présence puis insistance et finalement protection. Cette voix murmurait
une antique prophétie qui, dans l’esprit du jeune homme,
devint rêve éveillé.
L’enfant au
creux de l’arbre entourée
De son souffle mutin, de son rire scintillant
Sera la fille des vents, Zéphyr grondant
Dans le petit matin à la rosée bleutée
Fille éternelle
de son père sacrifiée
Calmera le tonnerre du paternel disparu
Devant la rage du vieillard combattu
Par sa mort bouclera le cycle entamé
Veille à son
sommeil, protège sa vie
Précieuse est l’enfant qui, endormie
Dans son sein recueille la rosée du matin
Innocente qu’elle est encore de son destin
Guide ses jeunes pas
jusqu’à l’hypothétique Nuit
Par delà les milles morts bravées et déjouées
Au delà des monts sanglants et des vallons criblés
Là où dorénavant le jour plus jamais ne luit
e
jeune elfe se réveilla en sursaut se frottant les yeux encore ensommeillés
et pestant contre la fatigue qui l’avait achevé. Il se remémora
alors la nuit précédente et cette voix si douce qui chantait
encore à son oreille les rimes de la prophétie. Se pouvait
il que l’enfant à ses côtés soit l’enfant
de la prophétie ? Il décida de partir sur le champs demander
aux anciens de son village conseils et recommandations. Il prit le parti
de ne pas en informer la jeunette et le matin arrivant, il lui proposa
de lui présenter le village de son enfance.
es compagnons se mirent
en route, et chemin faisant, s’entretenaient des souvenirs de leur
enfance mêlant joie et peine, souvenirs lourds à porter et
petits secrets à garder. Ils conversaient activement lorsque le
village fut enfin en vue. Des liens forts se tissaient entre eux, Tebril
gardant toujours en mémoire la prophétie que la voix lui
avait murmuré dans son sommeil. Ils prirent le chemin de traverse
pour atteindre le village sans être vu de l ‘extérieur
et c’est dans un silence complet qu’ils arrivèrent
au pied des premières maisons.
ebril mena directement
la fillette dans la maison du chef de village et expliquant rapidement
de quoi il en retournait il la laissa aux bons soins de sa mère
pour aller voir le vénérable pour lui conter la prophétie
et cette voix si douce qui enchanta ses oreilles une nuit durant, une
nuit calme où tout s’arrêta le temps de pleurer la
future mort de l’enfant. Le vénérable écouta
tranquillement les demandes du jeune homme puis lorsqu’il finit
sa dernière phrase, il se leva et alla vers une bibliothèque
au fond de la salle, dans l’ombre. Les livres semblant venir d’un
autre temps, mordus de poussières et les reliures fanées.
Le vénérable posa un doigt sur le premier livre puis passant
lentement ce doigt sur les couvertures, l’air absorbé et
attentif, il en prit un et l’ouvrit devant lui. Puis feuilletant,
il se mit à lire la prophétie, le visage illuminé
d’une lueur victorieuse. D’une voix doucereuse, il se mit
à énumérer des noms de lieux et de temps oubliés
:
- L’enfant
est la fille de Zéphyr, le souffleur de vent, qui vit par delà
les plaines et les vallées dans un lieu fermé de tous. Il
a perdu sa fille durant une bataille contre Wicuk le nécromancien.
Elle n’a pas de nom dans la légende mais tous s’accordent
à parler d’elle comme d’une enfant délicieuse
et douce. Il est possible que les Dieux t’aient choisis pour être
le dépositaire de cette légende, menant cette enfant à
Zéphyr son père.
Mon fils, sois prudent, cette légende semble imprégnée
d’une force qui est hors de mes protection. Je ne pourrais, par
magie, te retrouver ou t’aider. A partir du moment où tu
seras hors de ces murs, tu seras seul face à ton destin, qui semble
lié à celui de cette enfant.
e
vénérable leur fît les dernières recommandations,
puis, d’une main tendue l’extrême face à eux,
d’une voix sourde, retenue et rauque, se mit à incanter.
Des volutes de fumées les entourant, sortit la main du vénérable
leur exposant au creux de celle ci deux petits colliers au pendentif d’aigue-marine,
symbole de leur position, marque de leur mission au dessus des guerres
et des liaisons inter-clans. Les jeunes elfes prirent les colliers et
les mirent à leur cou, encore troublés par leur nouvelle
condition, et partirent, un dernier regard vers ce qu’ils ne verront
plus, ou tout du moins, plus du même œil.
ur les routes poussiéreuses,
sur les chemins de traverses et les sentiers dans les forêts traversées,
ils devinrent amis, au gré de leur pérégrinations,
au vent qui murmurait encore, balbutiant souffle tel un effleurement,
renforçant cette impressions de déjà vu, ce sentiment
que tout était à faire sans pourtant avoir à prouver
leur nouveauté. Ils passèrent leurs nuits dans des campements
de fortune, se réchauffant d’un feu et des couvertures qu’ils
avaient emportées avec eux. Au matin de la troisième lunaisons
après leur départ du village de Tebril, ils arrivèrent
à un carrefour menant au Sud vers les mers chaudes, à l’Est
vers la forêt des enchanteurs et, venant du Nord, à l’Ouest
vers le monts des Krerr Karg, réputés pour leur cimes escarpés
et l’absence qu’il y avait de routes praticables.
es monts des Krerr
Karg. De puissantes montagnes s’élevant vers la voûte
céleste brandissant leurs cimes découpées et agressives
en signe de défi. Les dernières routes praticables pour
les escalader et les passer se finissaient dans des crevasses profondes
et terrifiantes. Tebril et Elradrielia, s’étant concertés,
décidèrent de laisser chevaux et équipement inutile
dans le dernier village avant les monts maudits. Dans ce village, ils
durent confier Nedë au maréchal ferrant, prenant guide et
provisions pour la route. Puis, l’aventure engagée, ils partirent
tous trois vers ces raides falaises qui s’ouvraient devant eux.
La jeune elfe trépignait, heureuse qu’elle était d’être
le centre d’une telle expédition, bonheur de découvrir
le monde, sans prendre garde au danger que pouvait représenter
ces montagnes menaçantes. Les jours passèrent, les nuits
froides défilant sans cesse, et l’aventure perdit de son
charme en fonction de la difficulté croissante de tenir leur rythme
à mesure que leur percée se précisait. Ils atteignirent
la dernière cime le soir de la sixième lunaison depuis leur
départ et ce fut avec soulagement qu’ils virent une vallée
verdoyante s’étaler devant leurs yeux ébahis. Les
monts des Krerr Karg leur laissaient un arrière goût amer
dans la bouche, impression d’oppression et de sécheresse,
mélange de chemins rugueux et de façades infranchissables
qui les obligeaient à détourner leur approche de la montagne
sans pour autant oublier leur but : traverser vivants les pièges
qu’elles leur déposait gracieusement devant eux. Les nuits
s’étaient faites froides et cinglantes, les jours aussi troubles
et incertains qu’une campagne militaire, les créatures des
monts maudits aussi accueillant qu’un troll affamé. Tebril
appris vite à manier sa rapière pour défendre la
jeune promise, elle même ayant elle aussi appris à se défendre
à l’aide de son arc qu’elle portait en bandoulière.
Mais les dangers que recelait les montagnes n’étaient rien
par rapport à ce qui les attendaient au cours de leur voyage. Le
guide les laissa sur la dernière cime, l’étendue verte
de la vallée à leur pied en dessous.
a vallée de
Tierias était connue au travers du royaume pour son mortel parterre
de fleurs vénéneuses, par terre en accord avec le dragon
qui vivait. Les jeunes elfes avaient peur. Entrer dans une telle souricière
? Mieux valait contourner ou même abandonner ! Tebril suppliait,
la peur au ventre, qu’ils trouvent un autre chemin. Mais la jeune
Elradrielia, inconsciente du danger planant, épée de Damoclès
au dessus de la tête, continuait tout droit. Les jours passèrent,
le jeune homme, ébahi de ne voir que fleurs en sommeil et pas de
trace du dragon, avançait avec précaution. La jeune insouciante
murmurait chaque soir une prière aux Dieux, fervente qu’elle
était et persuadée de son utilité. Selene posa un
regard délicat sur l’enfant, elfe de la Lune, de son manteau
nocturne. Elle savait la petite fidèle et profonde dans sa Foi,
ce qui lui donna l’idée d’être sa protection,
sa cape de dissimulation, son Ombre parmi les ombres. Il faut dire que
les Dieux connaissent le destin des hommes, et Selene, celui des jeunes
nécessiteux. Elle la prenait son sa protection, émue qu’elle
était du destin de cette petite. Le dragon jamais ne se réveilla,
les fleurs s’épanouissaient délicatement, leur parfum
mortel atténué par le vent qui soufflait dans leur dos,
les protégeant de leur effluve fatal. La vallée de Tierias
était vaincue.
a route les mena à
un fleuve, puis un lac, et finalement l’Hypothétique Nuit
qui se dressait fièrement devant eux. Murs noirs, tours imposantes
et sombres, le palais de Zéphyr était entouré de
collines douces et érodées. Le vent ne soufflait plus mais
l’érosion montrait la présence durant des siècles
et des millénaires de vents puissants et grondeurs. Ils entrèrent,
leurs pas résonnant dans le hall de marbre noir et gris cherchant
la moindre trace de ce qu’ils devaient trouver. Ils visitèrent
les pièces vétustes, la mort enveloppant tout de son voile
trouble, secouant la poussière des siècles passés.
Dans une antichambre, se reposant un instant, ils découvrirent
une salle camouflée, donnant sur une bibliothèque antique
chargée de livres, de grimoires et de parchemins moisis. Au centre
de cette salle trônait un pupitre sur lequel reposait depuis l’éternité
un grimoire ancien ouvert sur une page aux runes calligraphiées
dans le sang, une enluminure représentant un homme soufflant blessé
au cœur. Elradrielia réprima un frisson d’angoisse.
L’atmosphère de l’endroit lui conférait une
peur indéterminée, que ce grimoire amplifiait à mesure
qu’ils s’en approchaient. Lisant à haute voix, Tebril
frémit entendant les déflagrations que le mystique texte
réveilla. Un corps éthéré se dressa entre
Elradrielia et Tebril, imposante stature d’un homme inconnu à
leur yeux, homme à la poitrine puissante, aux vêtements d’un
autre temps, image même de l’enluminure. Zéphyr face
à eux, incrédule dès le premier regard vers la jeune
elfe, commença à parler, sa voix résonnant dans la
salle tel un tonnerre dans les montagnes.
- Ma fille, ma tendre
enfant, enfin je te retrouve. Viens me rejoindre, les plans éloignés
sont doux en cette saison sais tu ? Rejoins moi et aide moi. Que ton sacrifice
mène ton père à la victoire, que ta vie soit un souffle,
un ouragan qui détourne le mal de sa route, que la voie que je
t’ai enseignée reste celle que tu suis.
lradrielia,
pétrifiée face au choc de cette rencontre, incrédule
aux paroles de cet esprit élémentaire qui se prétendait
son père et qu’elle n’avait jamais vu. S’ensuivit
une longue conversation où, les brumes se levant, l‘horizon
dégagé, elle prit conscience de sa réelle existence.
Son père lui enseigna la manière de se défendre,
ainsi que l’ultime recours pour vaincre ce nécromancien,
son sacrifice et sa réincarnation en un arc de vents, en cet ultime
arme, l’essence même de la vie condensée et concentrée
en une flèche à la pointe acérée. De heures
en heures le ton se faisait chuchotement, rafale fraîche que celle
ci, puis murmure, délicat brise légère et douce,
les forces de Zéphyr se perdant dans cet entretien si important.
Finalement, la forme éthérée disparut, laissant place
au silence poignant qui recouvrit la pièce d’un coup, comme
la mer qui entre dans un vallon la marée montante. La jeune fille
savait alors ce qu’elle devait faire, prête à l’affrontement,
la tête encore fébrile. Leur objectif était le manoir
où le nécromancien s’était réfugié
voici de centaines d’années après le combat violent
qui se résolut par la mort de Zéphyr. Ce dit manoir se situait
au creux d’une vallée sinistre, encoché dans des rochers
certes pas impressionnants mais tout de même assez agressifs. Ils
prirent pied dans l’entrée, puis, discrètement, investirent
une salle où des grimoires traînaient pêle-mêle.
Une fumée envahit la salle, laissant à peine au jeune homme
le temps de voir son amie disparaître dans la main d’un homme
ténébreux. Wicuk enserrait la gorge de l’enfant qui
tremblante gémissait de douleur. Tebril, d’un geste agile
et rapide, sortit sa rapière et fonça sur le sorcier pour
libérer la jeune fille. Essoufflée mais libérée
de l’étreinte morbide, elle se rangea derrière son
compagnon pour se concentrer sur les sorts que son père venait
de lui rappeler, la magie qu’elle avait oubliée. Eclair et
tonnerre, tempête et ouragan, les éléments se déchaînaient
dans la vaste salle, emprisonnant les protagonistes dans une roue infernale.
Tebril fut rapidement dépassé par l’ampleur des forces
en présence, encore étonné de ne plus reconnaître
la douce et innocente jeune elfe qu’il avait accompagné jusque
là.
ependant, les forces
n’étaient pas équilibrées, et Wicuk eut le
dessus si vite que Tebril ne s’en aperçut point. Mais Elradrielia
était prête. Déjà elle se réparait mentalement,
revoyant ses amis, sa famille, sa vie qu’elle avait passé
jusque là sans savoir la vérité. Elle murmurait une
prière à Selene, sa dernière, et chercha l’incantation
qui ferait d’elle l’ultime arme, l’essence de la vie
qui allait anéantir ce sorcier. Elle se mit à plasmodier,
d’une voix ferme et sans faille, égrenant les mots mystiques
comme des pétales au vent du matin, fixant le sorcier dans les
yeux. Puis un dernier regard à Tebril, un murmure qu’il comprit
comme l’acceptation et l’aveu de son affection, et Elradrielia,
dans un hurlement rauque, tomba au sol sans vie. Un grondement se fit
entendre au loin, la rumeur s’amplifiant à mesure que le
corps de l’enfant disparaissait dans des volutes de fumées,
qui elles même se firent vaporeuses, vent vivant, palpable, qui
se reforma en arc. Cet arc était bleuté, de la même
délicate couleur que la peau de la jeune elfe, presque irréel,
inconditionnel, immatériel. Tebril, connaissant son rôle,
prit l’arc en main encore stupéfait de pouvoir poser les
mains sur une surface bien solide, et le pointa vers Wicuk dans un élan
haineux. Elradrielia venait de se sacrifier pour son père et par
son père, se faisant arme pour que sa vie se concentre en un trait
mortel tourné vers le sorcier. Le regard exercé, l’expérience
le soutenant, Tebril décocha la flèche dans le cœur
du nécromancien le tuant sur le coup.
es légendes
ne racontent pas ce qu’il fut advenu de ce Tebril, messager et ami,
exécutant d’une prophétie qui le dépassait
de si loin. Le nécromancien tué, Zéphyr et sa fille
réuni enfin, tout était rentré dans l’ordre
de toutes choses. Mais il demeure une impression d’inachevé
dans ce sacrifice, le Zéphyr Bleuté, du nom que cet arc
prit plus tard, restant introuvable. Il est dit dans les grimoires au
sein des temples sélénites que cet arc représentait
une relique précieuse aux yeux de la Sombre Dame, elle qui avait
regardé, soutenu puis pleuré la jeune elfe au doux nom d’Elradrielia.
Il doit certainement encore se trouver dans l’Hypothétique
Nuit, le palais de Zéphyr, réunissant ainsi pour l’éternité,
ou presque, père et fille en harmonie. Ponctuellement, la relique
refait surface, lorsque Selene elle même est menacée, de
manière profonde, dans ses préceptes ou sa liberté.
L’arc alors reste l’espace d’une vie, celle du porteur,
en possession d’un fidèle au cœur pur, à la Foi
éprouvée.
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